Et la vérité fût rétablie

Pete était assis à une table, au fond de la salle, et il guettait le moment ou Jacques aller rentrer dans le taverne.
Tout en savourant son verre de cidre, il fixait la porte, et se remémorait la discussion qu'il avait entendue dans la matinée.

Les terribles accusations qui pesaient sur son ami ainsi que sur le Grand Amiral Kernoch et le Capitaine Ar Breizhnart allaient disparaître. Il savait que Jacques avait une fois de plus habillement manoeuvré, et il attendait le récit de son ami.

Alors qu'il s'apprétait à passer au rhum, il vit enfin rentrer le Capitaine Jacques de ploubalay. Il lui fît signe depuis le fond de la salle, et l'invita à le rejoindre.

Après une accolade amicale et chaleureuse, il ne pût attendre plus longtemps et lui dit :

Bravo Jacques. Vous avez fait taire ces calomnies ! Et en plus, non seulement vous avez rétablie votre honneur ainsi que celle de nos amis, mais je suis sûr que vous avez prévu de retourner la situation à votre avantage. Allons, asseyez-vous et racontez moi.

Mal rasé et, comme à son habitude, d'une humeur oscillant inexplicablement entre vieux chien mouillé et jeune chat fébrile, Dalbarade aperçoit son vieux compagnon Pete attablé en face d'un homme de fière allure qu'il reconnut immédiatement comme le Capitaine de Ploubalay.
Convié spontanément à se joindre à eux, Dalbarade refuse d'un geste amical l'offre d'un verre de rhum :
" Merci camarades, mais je suis à la diète... Oui, ... les suites malheureuses mais prévisibles de quelques errances dont je vous passerais les détails.... À l’eau donc, mais ravi de vous rencontrer "
Le silence qui suivit cette entrée en matière, silence accompagné d'un sourire figé passant lentement en rictus nerveux intriguera le Capitaine Jacques, peu habitué aux mimiques excentriques de ce Dalbarade ! Devant son air perplexe, Clément Joseph ajuste mécaniquement l’étoffe exotique aux couleurs passées lui recouvrant le crâne, et de poursuivre, soulageant ainsi les interrogations naissantes de Ploubalay sur la santé mentale du nouveau venu :
" Pour parler franc, mes seigneurs, je me faisais une joie d'être en vos compagnies dans cette aventure avortée des galions ibères, mais, les donnes ayant changées, je m'interroge sur les suites que vous donnerez à cette belle alliance et ce montage avec les Hollandais ? ".
Pete Scaramanga, sans réprimer un petit sourire devant l'entrée en matière de son vieux complice :
" Mais dites-moi Clément Joseph, vous venez bien de sillonner vers l'est et serez de retour parmi nous pour continuer l'aventure, un peu de patience.... "
' C'est que..., repris l'homme au fichu passé et s'adressant plus particulièrement à de Ploubalay ... j'ai cru comprendre que notre amirauté aimerait un peu plus de mobilisation chez les Corsaires Bretons et d'un autre les dernières nouvelles nous enseignent que bon nombre d'entre eux mènent rudes combats au large. Il n'y a donc pas incompatibilité me semblent-ils !"
Sans même attendre de réponse, se relevant en deux temps, comme le ferait un malade ayant soudain recouvré la santé, il ajoute :
" j'ai pris quelque temps avec les Hollandais et ils m'ont aussi très enthousiastes... mais à cette heure, je ne vois rien qui se dessine".
Les yeux rieurs, passant rapidement de Scaramanga assis, à Dalbarade debout, si vite arrivé si tôt sur le départ, le regard de Jacques de Ploubalay s'attarde finalement sur Pete Scaramanga. Un regard implicitement chargé d'un "... dites- moi Pete, il est toujours comme cela votre ami ? "
Sur ce, d'un hochement de tête respectueux en direction de Jacques, accompagnant sa sortie d'une frappe amicale sur l'épaule de Pete, Clément Joseph Dalbarade replace son tabouret, fini son demi-tour et se met en marche tout en agitant, bien levé, un bras droit au poignet duquel tinte une sorte de bracelet argenté qu'on pourrait croire emprunté à une costumière de la commedia del. arte.
"... Permettez- moi de prendre prestement congés car l'odeur du bon rhum m'incite vite à désavouer mes serments de diète. Or il en va de ma santé, Messieurs, donc de celle de mes hommes ".

Dès que son ami Clément Joseph eût quitté les lieux, Pete ne laissa pas le temps à Jacques de prendre la parole :

Je sais, il peut paraître curieux comme cela, mais ce Clément Joseph fait partie de ces amis sur qui on peut compter. Je ne l'avais pas vu depuis que j'avais quitté l'Europe. Je me disais : il aura probablement changé, la traversée l'aura calmé. Et bien non, c'est le même, mais c'est comme cela que je l'apprécie.

Vous verrez Jacques, je suis sûr qu'il sera redoutable et qu'il mènera ses hommes au combat avec fierté et bravoure.
Jacques semblait acquieser, et devait se dire au fond de lui que nous aurions bien besoin de Capitaines de la trempe de Clément Joseph pour nos prochans combats.

Pete lui resservit un verre de chouchen, et il trinquèrent en pensant à cette flotte espagnole qui allait bien finir par réapparaître.

Jacques restait là, stupéfié par la vision extravagante qui venait d'étonner ses yeux, ses yeux pourtant si habitués aux excentricités de tout genre des capitaines assez fous pour venir aux Caraibes.

Comme une trombe tropicale, le capitaine Dalbarade était passé, un grand flot de paroles et de gestes.

"Doux Jésus ! Voila un homme énergique" pensa t'il... puis " Doux Jésus ! mais voilà un homme comme il en faut pour redonner du souffle a une confrérie " et enfin

-Ah ! Mon cher Pete, comme vous dites, oui ! Si il déploie en face des Espagnols une telle énergie, les espagnols et nos alliés hollandais se souviendront vite de son nom... pourtant guère évident a prononcer pour un gosier hollandais...Mais ...

Jacques allait poursuivre quand un courrier entra en trombe, plein de poussière et trempé de sueur

- Monsieur de Ploubalay ! un message urgent de la Dame d'Assen
- Donne !

Le temps de parcourir le message, de jeter dix piastres au messager étonné, et Jacques se retournait vers son Amiral, avec un sourire joyeux.

Il jeta le parchemin sur la table

-Lisez !

Citation :

Mon cher Jacques

La flotte Espagnole est repérée.
A nous de jouer a présent.

Ci joint ses coordonnées...

Jacques se servit un verre de rhum jusqu'au bord, et le vida, puis avisant son second qui lisait appuyé a la rampe de l'escalier

- Henri !
- ... Oui Capitaine ?
- Rassemble les hommes dans les tavernes et prépare a l'appareillage... provisions pour une semaine, de la poudre pour une bataille comme nous en avons peu vues...
-A vos ordres ! Dans deux heures tout sera prêt
- Merci Henri !


Puis se retournant vers son amiral qui achevait la lecture du billet

- Nous avons notre temps amiral, commandons une autre bouteille de Chouchen...

Kernoch déboula dans la pièce un rapport rongé par l'humidité dans la main.
Mes amis, je vous informe que le navire du malheureux Leuselec de Condé à été retrouvé. Je tiens là le rapport d'Ar Sparfell qui a retrouvé son épave dans la passe du vent près de Santiago de Cuba, écoutez plutôt:

Citation :

Mon amiral,

Par la missive suivante, je vous communique que la recherche du navire du Grand Amiral Leuselec de Condé ordonnée dans votre dernière missive a été fructueuse. Hélas, c'est une épave du Brigantin de guerre de notre regretté amiral que j'ai découvert ce matin du 4 Avril de l'an de grâce 1609 sur un récif de la passe du vent. J'ai aussitôt reconnu le navire de mon amiral, flambant neuf avant le passage de cet ouragan, et ne ressemblant plus maintenant qu'à une masse informe de bois mêlée de lambeaux de voilures. J'ai aussitôt ordonné la mise à l'eau d'une chaloupe et me suis dirigé vers le navire échoué à jamais sur ces si périlleux récifs.
Aucune trace de l'équipage n'a été retrouvé à bord ce qui laisse à supposer qu'une chaloupe a été mise à la mer lors du naufrage. Suivant vos ordres, nous avons tenté d'accéder à la cabine de l'amiral Leuselec afin d'y récupérer les documents qu'elle contenait mais la marée montante nous a empêchée de pousser nos recherches plus avant.
Ayant l'intention, sauf contre-ordre de votre part, de continuer les recherches dès l'aube j'ai fait mouiller ma tartane "Capucine" dans la zone pour la nuit.

Sachant que vous croisez dans la zone, je vous donne les coordonnées du lieu: l'épave du VDFR se trouve sur les récifs
de la passe du vent avec une longitude de 106,42 ° et une latitude de 52,39°.

Votre serviteur,

Ar Sparfell
Capitaine de la flotte de Saint-Malo

Que pensez vous de ça messieurs ?
Je me renderais dès demain sur place pour effectuer également les rechercehs aux alentours, qui sait peut être s'est-il réfugié dans une des nombreuses criques de la zone ?

D'un signe de tête, Pincefer incita le jeune blanc bec à parler moins fort, c'est que, dans une taverne, anglaise de surcroit, les murs peuvent avoir des oreilles. Rapprochant son godet avec ce bout de métal qui lui terminait le moignon, sa grosse tête hirsute s'inclinant vers la table, le vieux marin repris, :
" Ouai mon gars, comme j'te l'dis, plus d'une dizaine de navires à Santa Lucia et mes avis qu'on y trouve plus d'espagnols sur les ponts que d'bout d'savons dans mon carré... et demain, on remet ça et ça va tonner dur, pour sûr ! "
Le môme au cheveux roux, qui buvait les paroles de Pincefer comme les anglais d'a côté descendaient leurs grosses pintes risqua :
" mais m'sieur Pincefer, vous croyez que le Capitaine me prendra ce coup-ci, parce que j'aimerais bien y aller moi, j'suis sûr que j'pourrais..."
" Tu pourrais t'faire bouziller, voila c'que tu pourrais mon pauv' gars, coupa le marin,... crois moi, si le Capitaine Dalbarade te prends pas, c'est qu'il a ses raisons, c'est déjà assez dur comme ça sans s'encombrer d'moussaillon"
Dépité mais n'insistant pas, son jeune interlocuteur pinça les lèvres en hochant la tête. Une tête dans laquelle flottait l'image de Dalbarade qu'il avait croisé et suivit jusqu'ici. Car il le savait, c'est sur son navire qu'il voulait embarquer. Et il y arriverait quoi qu'il lui en coûte....